Magazines 2021 May - Jun Maintenant que Trump est parti

Maintenant que Trump est parti

27 April 2021 By Brian Stiller

Que signifie « évangélique » dans notre société actuelle?

Illustration par Janice Van Eck. Traduit par François Godbout. Ce texte en anglais

Sous la présidence de Donald Trump, l'étiquette évangélique est devenue de plus en plus politisée aux États-Unis, avec des effets d'entraînement dans le monde entier. Maintenant que son équipe, qui selon les sondages avait le soutien de la majorité des évangéliques blancs, a quitté la Maison Blanche, quel est le nouveau contexte social pour les chrétiens évangéliques et leurs institutions?

C'est une question qui m'est souvent posée en tant qu'ambassadeur mondial de l'Alliance évangélique mondiale. Les gens du monde entier se grattent la tête lorsqu'ils entendent parler des habitudes de vote des évangéliques aux États-Unis.

Au cours des quatre dernières années, de nombreux évangéliques américains ont été pris, encore plus que d'habitude, dans des contestations passionnées sur le rôle de la foi dans la politique et le débat politique. Lorsque les deux camps se réclament de la théologie et du titre d'évangéliques, cela peut être déroutant pour les évangéliques d'autres pays. Et lorsque les deux camps se traitent mal, de manière non chrétienne, beaucoup d'entre nous se sentent embarrassés et s'inquiètent du tort causé à l'Église.

Il est devenu courant d'entendre des gens dire qu'à cause de cet enchevêtrement, ils évitent maintenant le terme évangélique ou méprisent ceux qui s'identifient comme tels.

Il est difficile de les blâmer quand, d'un côté, certains prophètes autoproclamés déclarent que l'onction de Dieu était sur le président Trump et qu'il remporterait un second mandat, tandis que d'autres chrétiens le qualifient de diabolique.

L'histoire américaine

Ceux d'entre nous qui se trouvent à l'extérieur, mais qui ressentent encore les effets de ce clivage et de sa rhétorique, devront creuser dans un peu d'histoire américaine si nous voulons comprendre.

Alors qu'un groupe déterminé et loyal de républicains évangéliques blancs s'est rallié au populisme de Trump, d'autres leaders évangéliques étaient profondément inquiets et ont tenté de mettre en garde l'Amérique.

Les États-Unis d'Amérique ont été fondés dans un contexte historique d'aspiration à la liberté, un mythe fondateur que les dirigeants du XXe siècle ont retracé jusqu'à la célèbre déclaration de John Winthrop en 1630, selon laquelle ils étaient « une ville située sur une colline que tous peuvent observer ».

Cette puissante vision religieuse, filtrée par le dynamisme insufflé par les migrations massives et les vastes ressources, a implanté dans la rhétorique américaine un ethos, un sentiment que leur terre avait une promesse et un dessein divins particuliers.

(Techniquement, Winthrop faisait référence à l'ensemble du peuple de Dieu, où qu'il vive, mais sa célèbre phrase a fini par avoir un sens différent de celui qu'il voulait donner).

La vision d'une terre chrétienne s'accompagne de ce que l'on appelle l'impulsion de la destinée manifeste, une croyance sous-jacente selon laquelle il s'agit d'un pays dans lequel Dieu lui-même habiterait. Parmi tous les peuples du monde, l'Amérique encourage donc chez ses citoyens le concept qu'ils sont exceptionnels, une croyance profondément ancrée qui renforce ce sentiment de destinée et de vocation.

Le fait que les États-Unis aient été majoritairement chrétiens depuis leur création a puissamment renforcé cette conviction. Même à une époque de sécularisation croissante, le pays compte encore des dénominations fortes et de nombreuses méga-églises.

Après la Seconde Guerre mondiale, l'influence des états du Sud s'est étendue à l'ensemble du pays alors que de nombreux évangéliques quittaient cette région. Les évangéliques blancs se sont surtout déplacés vers l'ouest et le sud-ouest, les évangéliques noirs vers le nord et l'ouest.

Et voici un autre point de confusion majeur. Les experts parlent souvent des évangéliques comme s'ils étaient simplement égaux aux évangéliques blancs. Mais il y a beaucoup d'Afro-Américains, de Latino-Américains, d'Américains d'origine asiatique et d'Américains autochtones qui partagent les croyances et les pratiques évangéliques - mais pas les loyautés politiques des évangéliques blancs.

Ce genre d'informations de fond peut nous aider à essayer de comprendre la puissance et l'aptitude à innover de la personnalité nationale américaine, la créativité et la productivité inégalées des Américains, ainsi que leur générosité impeccable et leur désir d'être une force du bien dans le monde.

Un pays blessé

La politique américaine se divise en deux camps principaux : le Parti républicain et le Parti démocrate. Ces dernières décennies, l'adhésion à ces partis est devenue beaucoup plus importante pour définir les convictions sociales, culturelles et religieuses.

Il y a une génération, peut-être 15 % des membres de chaque parti se méfiaient gravement des membres de l'autre parti. Aujourd'hui, cette proportion dépasse largement les 50 % et beaucoup utilisent le terme « haine ».

Dès le début de l'ascension de Trump au pouvoir, alors qu'un groupe déterminé et loyal de républicains évangéliques blancs s'est rallié au populisme de Trump, d'autres leaders évangéliques étaient profondément inquiets et ont tenté de mettre en garde l'Amérique.

Un certain nombre d'éminents pasteurs, éducateurs et responsables d'agences ont protesté avec force contre le fait que les gens accordent trop d'importance à un seul homme. Ils ont critiqué ceux qui attribuaient une grandeur prophétique au président ou la croyance qu'il était sous un appel divin. Ils ont également mis en garde contre le fait de donner à la loyauté envers un parti, une plate-forme ou un dirigeant politique une priorité plus élevée que la loyauté envers Christ.

Ceux du côté républicain ont averti qu'avec une administration Biden, il y aurait un déluge de projets de loi prenant le parti du financement de l'avortement et filtrés par des politiques pro-gay conçues pour saper la liberté religieuse.

Aujourd'hui, l'Amérique est un pays blessé. De nombreux évangéliques des deux côtés de l'allée politique expriment leur embarras pour avoir apporté un soutien sans critique. D'autres continuent d'être en colère parce que leur candidat n'a pas gagné. Dans l’ensemble, une importante minorité d'Américains éprouve désormais une profonde méfiance à l'égard de leurs institutions gouvernementales.

Une scène internationale différente

Parce que l'Amérique est une telle force culturelle sur le plan mondial et que son rôle dans l'expansion évangélique a été si influent, il est facile d'ignorer le fait que la récente croissance parmi les évangéliques s'est véritablement produite dans le Sud - en Afrique, en Amérique latine et en Asie.

Bien que le malaise actuel parmi les évangéliques américains influence inévitablement le reste d'entre nous dans une certaine mesure, les médias ont fortement tendance à supposer à tort qu'une tendance aux États-Unis se manifeste automatiquement ailleurs.

Considérons les besoins des évangéliques américains en cette période de réflexion déchirante. Ils sont en crise. L'humilité et la paix prévaudront-elles? Ou cédera-t-on à la colère et au pharisaïsme? Mais les États-Unis ne sont pas le monde. Dans une communauté chrétienne de 600 millions d'évangéliques, les Américains ne définissent pas ce que nous sommes ou devrions être pour le reste du monde. Comme le terme évangélique s'est mêlé à toutes sortes de groupes politiques, de points de vue, de pressions publiques et de personnalités, les évangéliques du reste du monde devraient plutôt insister sur le fait que la croyance chrétienne et la pratique chrétienne méritent la première place.

Pour les évangéliques hors des États-Unis, il existe d'autres points de repère que l'histoire américaine récente pour nous aider à comprendre ce que signifie être « dans le monde, mais pas de ce monde ».

Pour les évangéliques des pays du Sud, la dynamique du message évangélique est désormais tellement façonnée par les dirigeants nationaux en place que la voix évangélique s'exprime avec des accents locaux plutôt qu'avec ceux que nous sommes habitués à entendre de la part des Américains ou des Européens.

Qu'est-ce qu'un nom évoque?

Une question lancinante issue de la mobilisation trumpienne porte toutefois sur la valeur de marque du nom. Devrions-nous remplacer le nom évangélique?

Certains disent que le terme manque de définition, qu'il a été coopté par le débat politique et qu'il éloigne maintenant certains de l'évangile. D'autres, au vu de la débâcle américaine, estiment que le nom a tout simplement été vidé de son utilité.

Je ne suis pas d'accord.

Tout d'abord, c'est un nom biblique. Le mot euangelion ou évangile, qui signifie la Bonne Nouvelle, est utilisé depuis des siècles, notamment par les disciples de Martin Luther, puis plus largement encore à l'époque de William Wilberforce. Aujourd'hui, dans de nombreuses régions du monde, il demeure un moyen important d'identification.

Par exemple, si vous vous trouvez dans un pays à majorité musulmane ou hindoue et que vous n'êtes pas catholique romain, orthodoxe ou protestant libéral, quel nom utilisez-vous? En tant que minorité menacée, la possibilité de s'identifier à plus de 600 millions de chrétiens évangéliques offre un abri dans l'identité et un lien dans la fraternité.

Comme l'a fait remarquer un ami, chaque fois qu'un prêtre fait un faux pas, les catholiques romains se demandent-ils s’ils devraient changer leur nom?

Qui est le premier?

Un dernier point sur le pouvoir politique. J'écris ceci en particulier à mes amis évangéliques du reste du monde. Ne pensons pas que nous ne serons jamais tentés d'utiliser notre base ecclésiale et notre témoignage pour obtenir le pouvoir politique. Nous avons vu cela se produire dans d'autres pays - au Kenya, en Corée du Sud et au Brésil, pour n'en citer que quelques-uns. Alors que le nombre d'évangéliques continue de croître, il existe une tendance naturelle à transformer la taille et la présence en pouvoir politique.

Nous pouvons penser que l'évangile nous immunise contre la séduction du pouvoir, mais il est utile de reconnaître notre propre vulnérabilité lorsque nous cherchons à faire de notre croissance mondiale une plus grande influence politique pour le bien du Royaume plutôt que pour notre propre bien.

Considérons les besoins des évangéliques américains en cette période de réflexion déchirante. Ils sont en crise. C'est un moment qui les confronte à une décision. L'humilité et la paix prévaudront-elles? Ou cédera-t-on à la colère et au pharisaïsme?

Les Américains ont besoin d'espace et de temps pour donner un sens aux choix auxquels ils sont confrontés. Prions pour qu'ils fassent des choix basés sur Christ qu'ils servent et la Bible qu'ils lisent. Ma prière est que cette période éprouvante et préjudiciable soit suivie d'un temps de confession nationale, de guérison spirituelle et d'une volonté résolue de faire de leurs premières priorités des priorités bibliques dans la foi qui honorent Christ en paroles et en actions.

Écoutez notre podcast avec Brian Stiller sur www.FaithToday.ca/Podcasts.
Brian Stiller vit en Ontario et est ambassadeur mondial de l'Alliance évangélique mondiale.