Dans une province pas comme les autres – alors que, plus que jamais dans l’histoire du Canada, tout est remis en question – les Chrétiens évangéliques se taillent une identité personnelle et communautaire.
Dimanche soir, centre-ville de Montréal – Je suis à l’événement de formation en implantation d’église du C2C, atelier visant à équiper et à mobiliser l’Église au Québec. Le hall d’entrée de l’église Evangel Pentecostal est rempli à capacité de pasteurs, d’implantateurs, de membres de diverses congrégations et de leaders d’église.
Nous avons tous connu notre juste part de fiascos lors de rassemblements chrétiens dans cette ville, mais ce soir, les gens autour de moi semblent agréablement surpris de la tournure des événements. Les mouvements d’implantation de nouvelles églises comme C2C et Transforme Québec – qui a pour vision d’implanter 25 000 nouvelles églises au Québec au cours des 40 prochaines années – font des vagues dans les milieux évangéliques.
La pensée religieuse traverse une période unique et décisive au Québec. À l’Assemblée nationale, les politiciens se prononcent sur le libellé de la Charte des valeurs. Radio-Canada mentionne qu’une paroisse catholique a fermé ses portes à chaque semaine au cours de 2013. Les défenseurs des droits de la personne et les médias signalent la montée des incidents racistes contre certains groupes religieux, notamment les Musulmans.
Une chose est certaine : la religion est un sujet chaud.
Dans des villes québécoises comme Mascouche, Shawinigan et Sherbrooke, des églises évangéliques nouvellement implantées sont bondées de jeunes familles francophones. En novembre dernier, Radio-Canada a présenté un reportage en deux épisodes sur le lancement de l’Église évangélique baptiste de Shawinigan-Sud dans lequel la meilleure question qu’on a pu se poser était : « Pourquoi les gens fréquentent-ils des églises évangéliques ? » Que des gens – surtout des jeunes – commencent à pratiquer ouvertement leur foi demeure une énigme pour l’ensemble de la société québécoise.
Alors qu’il entreprend sa cinquième décennie, le mouvement évangélique francophone demeure très petit, mais de plus en plus visible – même si le Québec éprouve un malaise quand la religion se pointe sur la scène publique.
Rien ne démontre plus clairement ce malaise que la récente Charte des valeurs.
La Charte
Le projet de loi 60 sur la Charte des valeurs fait jaser le reste du Canada. Ce projet de loi se propose, entre autres choses, d’interdire le port de symboles religieux visibles, tels le hijab, de grands crucifix ou des turbans aux employés de l’État, y compris au personnel dans les bureaux du gouvernement, aux travailleurs dans les cliniques de santé et dans les garderies, aux enseignants et aux professeurs d’université.
Pour les Chrétiens évangéliques qui ne sont pas tenus d’afficher leurs croyances religieuses en portant des symboles ou vêtements ouvertement religieux, le débat est plus philosophique que pratique. Prenant la parole lors d’une conférence sur la Charte organisée l’an dernier par les frères mennonites, la linguiste Anicka Fast a résumé ainsi les répercussions de ce projet de loi : « C’est une question de visibilité… nous [les Anabaptistes] avons toujours cru qu’une vision très élevée de l’église mène à une communauté qui se distingue visiblement du monde par ses pratiques spécifiques [le baptême, par exemple]. Et nous avons toujours réclamé la liberté de donner une critique prophétique à l’état. Mais on refusait aussi de s’occuper juste des choses soi-disant spirituelles, comme si Jésus serait Seigneur juste de la vie privée. On refuse une telle dichotomie entre la vie publique et privée [parce que] Jésus est Seigneur, pas juste des choses spirituelles mais de tout le cosmos. »
Même si les vêtements religieux ne sont pas un problème pour les Évangéliques, le projet de loi pourrait être perçu comme une ingérance de l’État dans les droits des personnes d’exprimer la foi qu’elles ont choisie et de la vivre en public. Pour un mouvement aussi jeune et obscur qu’est le groupuscule évangélique du Québec, il est difficile de prédire les répercussions à long terme de la Charte.
Bière et Bible à Rosemont
Si vous vous retrouvez dans le quartier francophone de Rosemont à Montréal un mercredi soir, allez donc chez Gainzbar, un restaurant plutôt huppé. Vous y trouverez un groupe d’étudiants universitaires et de jeunes adultes qui parlent de théologie, de la foi et de la Bible tout en dégustant une petite bière.
[LÉGENDE : Certaines des congrégations qui connaissent la croissance la plus soutenue sont de grandes églises régionales attirant entre 400 et 2000 participants, comme Nouvelle Vie à Longueuil.]
Ce sont les enfants des enfants de la Révolution tranquille. Leurs parents ont chambardé la société québécoise au milieu des années 60 durant un réveil culturel qui devait changer le cours de l’histoire de notre province. La Révolution tranquille a mis en place des lois de protection de la langue, a fait chuter le taux élevé d’analphabétisme dans la province et a déclenché une saignée de l’église catholique. Une partie de cet exode s’est fait au profit des premières églises évangéliques francophones du Québec.
Les 20 et 30 ans qui se réunissent au Gainzbar tous les mercredis font partie de la première génération de québécois francophones qui ont grandi dans des familles et des églises évangéliques.
Ayant abandonné le catholicisme, leurs parents nés de nouveau se convertirent au christianisme durant ce qu’on a appelé le réveil des années 70 et 80. Ce groupe a pris congé des traditionnelles rencontres de culte du dimanche matin en faveur de ce rassemblement communautaire qu’ils ont appelé Échad, une église lancée par Simon Nadeau en 2009. Nadeau est un Évangélique de deuxième génération. Sa mère, élevée dans la religion catholique, se convertit dans une église pentecôtiste au début des années 80.
Nadeau a senti l’écart entre le fait d’être Évangélique et le fait d’être Québécois.
« À vrai dire, je n’ai pas eu beaucoup de contact avec la culture québécoise dans ma jeunesse. Je n’écoutais pas notre musique, je ne lisais pas les auteurs de chez nous, dit-il. Je m’identifiais avant tout comme Évangélique, ce qui, à l’époque, était surtout un phénomène américain, même si j’allais à une église francophone. Toute la musique que j’écoutais était chrétienne américaine. J’ai fait un effort pour changer une fois devenu adulte. Mais à l’époque, je craignais que si je côtoyais de trop près la culture québécoise, je perdrais mon identité religieuse. Or, ce n’est pas nécessairement le cas. »
Il cherche, avec sa communauté, à réapprendre la foi dans la vie de tous les jours. « À Échad, nous examinons différents aspects de l’incarnation – qu’est-ce que ça signifie que d’incarner Christ dans la culture et dans la vie. C’est ce que nous essayons de faire sans prétention. »
Leurs rassemblements se font autour de ce qu’ils appellent des prédications horizontales, c’est-à-dire des discussions en groupe avec animateurs plutôt que les exposés de prédicateurs. Une fois par mois, ils tiennent un rassemblement non religieux, comme un concert ou un événement-bénéfice, sans thème ou élément religieux, de manière à inclure des non-chrétiens. Bien qu’Échad ait opté pour se départir du cadre de l’église traditionnelle, Nadeau retient les bonnes choses qu’ils ont reçues de leurs antécédents évangéliques. « L’église de mon enfance a démontré sa sincérité, dit-il. Les gens organisaient des œuvres de bienfaisance et vivaient et travaillaient dans la fraternité et la communauté. Nous avons tout simplement choisi de vivre nos valeurs et d’étudier les enseignements de Christ dans un cadre différent. »
Échad s’efforce de bâtir une communauté à la périphérie du courant principal du mouvement évangélique qui est lui-même en bordure du principal courant culturel.
La communauté croit être en mesure de déjouer les réactions, la stupeur et les aversions que tant de Québécois ressentent à l’égard de la religion organisée. Ses membres se voient comme en quête spirituelle.
« Les relations avant les chiffres, dit Nadeau. Je pense que l’ensemble du mouvement évangélique est présentement aveuglé par les chiffres. Ça commence à m’agacer. Je pense qu’il importerait davantage d’avoir une église dépouillée d’arrogance qui veut tout simplement aimer ses gens. Nous nous efforçons de créer une église qui reflète notre identité québécoise, qui se réjouit de notre culture – c’est du moins ce que j’aimerais voir à l’avenir – avoir une église qui s’épanouit comme entité, tant québécoise que chrétienne. Une église qui est reconnue pour ce qu’elle affirme et non pour ce qu’elle condamne. »
Redécouvrir ses racines
Noémie Jean-Bourgeault, 27 ans, est une artiste professionnelle et une Évangélique de deuxième génération. Elle se souvient avoir été la seule de sa classe à ne pas être Catholique. « C’était un peu étrange, dit-elle. Je n’étais ni baptisée, ni confirmée comme tant d’autres, et pourtant j’étais la seule de mon groupe d’amis qui allait à l’église le dimanche! »
À 18 ans, Jean-Bourgeault s’est jointe à Jeunesse en Mission Québec, organisme pour lequel elle travaille depuis. « J’ai grandi dans une église, mais j’ai dû quitter le Québec pour découvrir ma foi. J’étais en Angleterre quand j’ai commencé à apprendre et à réfléchir sérieusement sur le Royaume de Dieu. Il y a tellement peu de choses d’écrites à ce sujet en français ! »
« Ce que j’aime de la théologie du Royaume, c’est qu’elle est inclusive – elle s’efforce de rendre gloire à Dieu dans toutes les sphères de l’activité humaine. Dans le milieu évangélique de mon enfance, tout était affaire de salut. Vous êtes sauvé ou vous ne l’êtes pas. Mais le Royaume me permet enfin de réconcilier ma vie et mon identité de Québécoise avec ma foi. »
Jean-Bourgeault a observé le caractère éphémère des tendances évangéliques au Québec. « Je sais qu’il y a d’excellentes personnes et que des choses magnifiques se produisent dans les églises, soupire-t-elle. Mais la stratégie des chiffres me semble passer à côté du sujet. J’ai aussi rencontré bon nombre de leaders et d’implantateurs d’église qui ne semblent pas aimer le Québec. On dirait qu’ils sont ici parce qu’ils sont obligés. Tout ministère doit être motivé par l’amour. »
Elle s’inquiète de ce que certaines attitudes évangéliques au Québec peuvent faire plus de mal que de bien en minimisant le caractère unique de la culture québécoise et en faisant peu de cas des répercussions à long terme de la douloureuse histoire de l’église.
« Vous ne pouvez pas aborder les gens en leur disant que Jésus est leur salut sans prendre en considération leur héritage religieux, leurs valeurs et les blessures collectives d’un peuple. Nos racines sont très importantes. » Jean-Bourgeault fait référence aux blessures à peine guéries de l’abus du clergé, de la corruption et de l’oppression d’une Église catholique qui faisait bon ménage avec l’État.
Mais selon elle, le Catholicisme a aussi donné au Québec un système de valeurs, un système d’éducation et de santé et une riche et précieuse identité historique dont on ne saurait nier l’importance. « J’ai réconcilié ma foi et mon identité culturelle quand j’ai redécouvert l’héritage religieux de nos ancêtres. Je pense qu’une partie de la réponse du mouvement évangélique au Québec consiste à au moins changer notre attitude envers cet héritage. »
Une problématique complexe
Jean-Sébastien Morin est un pasteur baptiste à Saint-Constant, une ville du sud-ouest du Québec. Professeur à l’université, il s’est converti par suite du témoignage de son beau-père. Morin a beaucoup écrit pour la communauté évangélique du Québec. Son livre, Nous croyons en Dieu : La foi évangélique pour tous (Éditions Ministères Multilingues, 2009) s’adresse aux nouveaux venus et aux non-croyants. Il présente une théologie de base adaptée au contexte des normes et des mœurs culturelles du Québec.
« Le Québec est totalement dénué de ressources, dit Morin. C’est un problème dont on se plaignait il y a 20 ans – et c’est toujours le cas. Je pense que toutes les maisons d’édition évangéliques éprouvent des difficultés financières. La majorité des livres chrétiens sont traduits de l’anglais. Ce n’est pas toujours un problème, mais je pense que le danger se présente quand les seules ressources que nous avons en matière de missiologie et d’évangélisme sont écrites par des auteurs américains. Leur expérience est complètement incompatible avec notre culture. »
À 31 ans, Morin est l’un des plus jeunes pasteurs de sa confession religieuse. Dans l’Union d’Églises baptistes francophones du Canada, 46 pour cent des fonds viennent de l’extérieur de la province, 1 pasteur sur 4 prendra sa retraite d’ici cinq ans et les salaires des pasteurs, dit Morin, demeurent bas. Selon lui, sa propre confession religieuse, de même que tout le mouvement évangélique au Québec sont en difficulté. « Je n’aurais pas d’objection à ce que nous ayons plus d’églises, dit-il. Mais j’aimerais voir, d’abord et avant tout, des églises en santé. »
[LÉGENDE : Noémie Jean-Bourgeault a observé le caractère éphémère des tendances évangéliques au Québec.]
Les églises en santé sont plutôt rares, mais elles existent. Certaines des congrégations qui connaissent la croissance la plus soutenue sont de grandes églises régionales attirant entre 400 et 2000 participants, comme Nouvelle Vie à Longueuil, Carrefour Chrétien de la Capitale à Québec ou Église Urbaine Axe 21 à Magog.
Ces églises évangéliques sont considérées comme des exemples de réussite, non seulement à cause de leurs effectifs, mais aussi à cause de leur réputation, de leur stabilité et des solides partenariats qu’elles ont établis à l’intérieur et à l’extérieur de la communauté évangélique. Elles ont des rencontres du dimanche matin bien rodées, elles offrent divers services dans leur milieu social, elles se sont dotées d’un bon plan de marketing et elles possèdent des ressources viables à long terme.
Elles sont ici pour rester
Le succès du modèle de la grande église dans un Québec sécularisé peut en surprendre plusieurs, mais pas Pierre Bergeron, le directeur de l’Alliance évangélique du Canada au Québec. « Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’opter pour un modèle universel. Les gens sont différents et sont attirés par différents types d’églises, dit-il. L’esprit de Dieu agit dans divers mouvements, styles et rassemblements. »
Bergeron est très conscient des défis que doit surmonter l’ensemble du mouvement évangélique au Québec. « Le diagnostic de Jean-Sébastien [Morin] est exact, dit-il. La plupart des confessions religieuses ont une pénurie de leaders et je m’inquiète surtout du sort des petites congrégations à l’extérieur des centres urbains. Je m’inquiète aussi de voir que nous n’avons pas assez de pasteurs dans le groupe des 35 à 50 ans, ce qui signifie que nous nous dirigeons vers un dangereux creux de vague entre les pasteurs qui arrivent à la retraite et la génération montante des 20–25 ans. La relève est très jeune. »
Les observateurs rappellent les temps particulièrement difficiles que l’église évangélique au Québec a traversés au début des années 1990. Le réveil était terminé. L’église au Québec ressentait vivement le fait d’être une minorité. La croissance de l’église avait ralenti et le nombre de futurs leaders se préparant au ministère était à la baisse.
S’il y a une chose sur laquelle tous les Évangéliques du Québec sont d’accord, c’est sur le fait qu’il est difficile de diriger.
« Nous traitons nos pasteurs de la même manière que nous traitons nos politiciens, dit Morin. Au premier signe d’insatisfaction, nous votons contre eux. Nous sommes divisifs. Je serais prêt à gager que la plupart des églises francophones de la province ont vécu une forme quelconque de division au cours des 30 dernières années. »
Bergeron abonde dans le même sens. « C’est un relent de la Révolution tranquille. On n’aime pas se faire dire quoi faire parce que nous avons la mémoire collective d’une église oppressante. C’est notre façon de corriger le passé. »
Bergeron demeure cependant très optimiste face à l’avenir. « Nous voyons, plus que jamais, une belle collaboration entre les diverses confessions au sein du mouvement. Les églises s’ouvrent de plus en plus à l’idée de collaborer entre elles. Un nouveau leadership émerge parmi les jeunes. » Il espère que, peu à peu, le mouvement sortira de l’ombre au Québec et sera mieux accepté par le principal courant culturel.
« Il y a 50 ans, on refusait que des pasteurs évangéliques soient aumôniers militaires au Québec. C’est une chose qui a changé. Il y a plusieurs organisations communautaires administrées par des entités évangéliques qui sont maintenant reconnues par les gouvernements locaux. » Pour que l’église prenne en main son avenir, Bergeron croit fermement qu’elle devra accorder la priorité au développement du leadership dans les milieux francophones. Pour y parvenir, il faudra mettre au point des ressources de formation au leadership en français.
La croisée des chemins
En mai prochain, l’Heureux Naufrage, un documentaire passant en revue l’histoire religieuse du Québec, sera publié.
Solange Lefebvre est une anthropologue et théologienne de l’Université de Montréal qui a participé au film. « La grande nouveauté, c’est le choix volontaire, dit-elle. On peut opter pour une voie spirituelle, pour un cheminement religieux ou pour un cheminement non religieux. Mais la grande difficulté c’est de devoir faire l’option. C’est l’une des difficultés de la modernité – l’angoisse qui suscite la liberté de devoir faire le choix. La liberté religieuse, c’est un cadeau, mais c’est aussi un grand fardeau. »
Une magnifique liberté et un lourd fardeau. Ces paroles prophétiques de Lefebvre décrivent beaucoup plus que la réalité d’être Évangélique au Québec, mais elles conviennent parfaitement.
Jenna Smith est née et a grandi à Montréal. Elle est la directrice d’Innovation Jeunes, un ministère pour les enfants, les adolescents et leurs familles en plein cœur de la ville. Son livre A Way: The Story of a Long Walk paraîtra en mai 2014 aux éditions Urban Loft.
Être un Évangélique au Québec
Par Jocelyn Olivier
Le pourcentage de Chrétiens évangélique au Québec est très faible – probablement moins d’un pour cent des Québécois se considèrent des Chrétiens nés de nouveau. Le Québec est un champ de mission. Dès que vous franchissez la frontière, vous pouvez voir une grosse différence.
J’étais à Ottawa la semaine dernière pour assister à un concert et juste le fait d’écouter une radio chrétienne et de voir des affiches, on voit que c’est un monde complètement différent. On ne voit pas ça au Québec.
La majorité des Québécois ne savent pas ce qu’est une église évangélique.
L’approche est différente. Si vous allez aux États-Unis ou dans le reste du Canada, si vous parlez de l’église, de Dieu et de la Bible, les gens savent de quoi vous parlez. Ils se souviennent avoir fréquenté l’église dans leur enfance ou que des membres de leur famille allaient à l’église.
Mais au Québec, on doit remonter un pas de plus en arrière, surtout lors d’événements spéciaux avec des visiteurs ou des nouveaux. On commence par s’assurer d’abord qu’ils ont été touchés, ensuite qu’ils sont devenus Chrétiens, puis des disciples. Nous devons commencer un pas plus loin qu’ailleurs au Canada.
Nous commençons par expliquer ce qu’est une église évangélique avant de parler de la Bible et de Jésus.
Une fois par mois, nous avons un service du dimanche matin spécialement pour les nouveaux. Nous commençons par expliquer ce que notre église fait dans la collectivité dans le domaine, par exemple, de l’aide aux familles pauvres. Ensuite, nous ouvrons la Bible. Mais c’est un sujet très délicat, parce qu’ici au Québec, vous devez séparer votre travail communautaire de votre église. Notre travail communautaire est donc accompli par une entité distincte.
Notre église a décidé de ne pas s’engager dans le débat au sujet de la Charte des valeurs. Nous ne connaissons pas tous les détails. Il arrive, dans ce genre de situations, qu’il est impossible de gagner. Si nous prenons position ou faisons une déclaration, nous risquons de créer des divisions. Nous sommes environ 3 000 dans notre église, de sorte que nous comptons vraisemblablement dans nos rangs des gens qui sont pour la Charte et d’autres qui sont contre.
Dans un certain sens, c’est une question politique. Nous nous efforçons de nous tenir à l’écart de ces débats.
La chose la plus importante que les Chrétiens des autres parties du Canada devraient savoir au sujet des Évangéliques au Québec, c’est que cette province est différente du reste du Canada. C’est un champ de mission. Je sais qu’il y a beaucoup de Chrétiens à travers le Canada qui ont un cœur pour le Québec et pour les Francophones.
Parfois, ils veulent nous aider. La meilleure façon d’aider les gens du Québec, c’est d’établir des relations avec une église d’ici et de travailler avec elle. Nous voyons parfois des gens qui investissent des sommes d’argent avec de bonnes intentions et de bons motifs, mais sans un plan réalisable. Ou encore des gens viennent ici pour implanter une église sans comprendre la langue et la culture. Notre église a une œuvre en Haïti, mais nous faisons confiance aux gens du lieu. Ils connaissent leurs gens et leur pays.
Jocelyn Olivier est pasteur associé à Nouvelle Vie, une grande congrégation évangélique à Longueuil, sur la Rive-Sud de Montréal.
Être une Évangélique au Québec
Par Ignes Zina Oukil
Je suis née à Rouiba, en Algérie. J’ai immigré au Canada – à Calgary – quand j’avais huit ans. Plus tard, à 16 ans, j’ai posé un geste qui a changé le cours de ma destinée – j’ai donné ma vie à Christ.
À la fin de mes études secondaires, j’ai ressenti que Dieu m’appelait au Québec. J’avais une perception féérique de ce que serait Montréal.
Je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait.
J’ai vite constaté que la réalité d’être Chrétienne au Québec était très différente de celle de l’Alberta. Au début, je n’étais pas très au courant de la signification de l’expression « confession religieuse ». Je n’avais aucune idée de ce que ça pouvait vouloir dire. Très souvent, les gens essayaient de mettre une étiquette sur ma foi en Jésus. Je pense que le Christianisme est très fragmenté ici, non seulement dans l’optique des non-Chrétiens, mais même chez les Chrétiens.
Les gens veulent savoir le genre de Chrétien que vous êtes à partir de la congrégation à laquelle vous appartenez.
Cependant, le plus grand choc pour moi après mon arrivée fut d’être exposée à la population arabe, chose à laquelle j’avais été plus ou moins soustraite à Calgary.
Le choc culturel que j’ai subi en arrivant au Québec m’a permis de mieux comprendre qui je suis et qui j’étais avant de venir au Canada. J’ai retrouvé mes racines d’une manière qui ne m’aurait jamais été possible de faire si j’étais demeurée à Calgary.
J’ai aussi constaté la marginalisation dont on peut faire l’objet quand on est, comme moi, à la fois Algérienne et Chrétienne. Quand des membres non-chrétiens de la communauté arabe apprennent que mon père est Musulman mais que j’ai choisi une autre voie, le jugement est évident.
À l’été de 2012, j’ai suivi un cours. Le premier jour, parce que le groupe était relativement petit, le professeur a demandé aux membres de se présenter. À la fin de cette ronde de présentations, ceux qui avaient écouté et regardé savaient que j’étais originaire d’Algérie et que j’avais une croix pendue au cou.
Chose certaine, quelqu’un avait, non seulement observé et écouté, mais aussi décidé de passer à l’action. La semaine suivante, je fus abordée par un Algérien membre de ma classe. Il m’expliqua qu’il trouvait inconvenant que je sois Chrétienne compte tenu de mes origines arabes. Il avait apporté des DVD et des livres sur l’Islam dans le but de me réhabiliter. Il était agressif et il me suivait jusque dans le métro après mes cours pour me promouvoir l’Islam. Je sentais qu’il ne me respectait pas et je paniquais. Après avoir expliqué la situation à mon pasteur, trois hommes de mon église furent chargés de me reconduire à la maison chaque jour après l’école et de régler cette affaire.
Le problème fut vite réglé et je n’ai pas été approchée depuis.
Si la vie à Montréal a été pleine de revirements, je dois dire que ces expériences, comme plusieurs autres, ont approfondi ma compréhension de l’amour et de la providence de Dieu dans les épreuves les plus difficiles.
Mon église, The Living Room, a été une source incroyable d’appui à presque chaque étape de ma vie chrétienne. J’ai reçu le genre incomparable d’amour et de grâce que seule une famille spirituelle peut donner. Je ne pourrais me sentir plus honorée à marcher aux côtés des gens avec qui je poursuis mon cheminement en attendant que la prochaine porte s’ouvre.
Ignes Zina Oukil est étudiante en Communications et en Sciences politiques à l’Université de Montréal.
Quelques statistiques sur les églises du Québec
Selon les statistiques de 2009, le Québec compte environ 190 000 Évangéliques et 157 000 autres Protestants des principales confessions. (On définit les Évangéliques comme ceux qui fréquentent des églises baptistes, pentecôtistes, mennonites, de l’Armée du Salut, etc.)
Ces statistiques de 2009 font état de 580 congrégations protestantes francophones (56 %) et 438 anglophones. Or en 2006, environ 79 % des Québécois parlaient le français, 8 % l’anglais et 12 % une autre langue.
Parmi les églises protestantes actives au Québec aujourd’hui, les plus importantes sont parmi les mieux connues (voir le graphique à droite).
Sources : Liste des 15 premières : Répertoire Chrétien (Christian Direction, 2013) et sites Web des confessions religieuses concernées. Statistiques de 2009 : Jason Zuidema, éd., History of French-Speaking Protestantism in Quebec, Brill, 2011. Statistiques de 2006 : Jean-Pierre Corbeil, Brigitte Chavez et Daniel Pereira, Portrait des minorités de langue officielle au Canada – les anglophones du Québec, Statistique Canada, 2010.
Un documentaire explore la relation compliquée du Québec avec la religion
Apportant sa contribution à une réflexion plus large sur le passé religieux du Québec, Noémie Jean-Bourgeault a collaboré à la réalisation de l’Heureux Naufrage, un documentaire de 50 minutes réalisé par Guillaume Tremblay qui aborde les divers aspects du système de valeurs légué au peuple québécois par son passé religieux.
Ce documentaire présente des interviews avec quelques-unes des personnalités les plus en vue du Québec, y compris le cinéaste lauréat d’un Oscar, Denys Arcand, la chanteuse Ginette Reno et le journaliste Pierre Maisonneuve de Radio-Canada.
Reconnaissant ouvertement que le Québec contemporain a beaucoup de difficulté à traiter des sujets de la foi et de la spiritualité, cette étude pousse le dialogue jusqu’au point où certains des interviewés parlent du « vide spirituel » qu’ils ressentent à l’intérieur. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est étonnant d’entendre un tel aveu de la part de figures de proue de la culture francophone séculière.
L’Heureux Naufrage est un ouvrage courageux qui montre que même si les Québécois ont abandonné la pratique, ils n’ont pas suspendu leur réflexion. Le documentaire sera à l’écran en 2014. -JS